Un règlement européen interdit la commercialisation de produits alimentaires contenant des insectes vivants, mais certains fromages traditionnels corses échappent ponctuellement à cette interdiction par des tolérances locales. Les archives révèlent que des récits de voyageurs anglais et allemands, à la fin du XVIIIe siècle, mentionnaient déjà ce type de préparation, bien avant l’établissement de normes sanitaires modernes.
Le métier de fromager, alors en pleine mutation, devait composer avec des pratiques ancestrales et des exigences nouvelles imposées par les autorités françaises. Ce tiraillement entre usages locaux et réglementation centralisée marque encore la production artisanale dans plusieurs régions.
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Le fromage corse à asticots : entre fascination et controverse
Parmi les spécialités qui font débat, le fromage corse avec asticots, plus précisément le casu marzu, parfois appelé casgiu merzu ou casgiu martzu, occupe une place à part. Né en Sardaigne et adopté par la Corse, ce fromage de brebis se distingue par une méthode de fabrication qui fait lever plus d’un sourcil : on y introduit délibérément des larves de Piophila casei dans une meule de pecorino. Les insectes accélèrent la maturation, créant une texture crémeuse et un goût piquant qui marquent profondément quiconque s’y frotte. Certains en font l’éloge, d’autres s’en détournent sans appel.
Autour de ce fromage, les affirmations se bousculent et les fantasmes se mêlent aux faits. Le Livre Guinness des records l’a même classé comme le fromage le plus dangereux du monde : l’Union européenne et les États-Unis interdisent sa vente, invoquant des risques pour la santé. Pourtant, la demande reste vive. Sur le marché noir, le casu marzu circule à prix d’or, flirtant parfois avec les mille euros par kilo. Les autorités sanitaires évoquent lésions intestinales, nausées, troubles digestifs pour justifier cette interdiction, mais dans l’ombre, la tradition persiste.
Le quotidien insulaire met pourtant en lumière une réalité plus nuancée. En Corse, le casgiu merzu s’invite lors des grandes occasions, avec du pain rustique, du vin corse, souvent un rouge solide,, des noix ou des fruits secs. Ce fromage, au-delà de sa recette, porte un pan de l’identité culturelle corse et sarde. C’est sa rareté, la complexité de ses saveurs et l’attachement aux gestes anciens qui entretiennent cette fascination.
Pour saisir les principales caractéristiques de ce fromage pas comme les autres, voici quelques repères :
- Origine : Sardaigne, consommé en Corse
- Ingrédient clé : larves vivantes de Piophila casei
- Statut : interdit à la vente en Europe, circule sur le marché noir
- Prix : jusqu’à 1000 euros le kilo
Que sait-on vraiment du métier de fromager à la fin du XVIIIe siècle ?
À la fin du XVIIIe siècle, le fromager n’avait rien du technicien moderne. Il exerçait un métier guidé par l’expérience et la tradition, héritées au fil des générations. Les gestes étaient sûrs, les outils souvent rudimentaires, l’environnement dicté par la nature. On suivait le rythme des saisons, on surveillait la maturation dans des caves fraîches ou des bergeries de pierre. La méthode artisanale dominait : chaque famille conservait ses recettes, parfois dans le plus grand secret.
Le contexte agricole français favorisait une grande diversité de pratiques. Le fromager prélevait le lait tôt le matin, parfois directement au pis de la brebis ou de la vache, puis s’attelait sans délai à la transformation. Tout reposait sur la précision des gestes : caillage, égouttage, salage, chaque étape s’effectuait à la main, loin de toute mécanisation. Les ferments naturels, issus du lait de la veille, entraient dans la composition, et le beurre, denrée recherchée, était élaboré à la ferme, valorisant la moindre goutte de crème.
Certains noms traversent le temps, à l’image de Mario Murrocu, encore aujourd’hui figure de la tradition corse du casu marzu. L’apprentissage se fait par transmission orale, par observation attentive du troupeau, du climat, de la cave, du foin, de l’humidité. Rien ne s’apprend dans les livres : tout se joue sur le terrain, au fil des saisons. Déjà, la réputation d’un fromage dépendait de la rigueur de ces gestes et de la régularité du goût obtenu.
Voyages en France de 1787 à 1789 : regards d’étrangers sur nos fromages et traditions
Entre 1787 et 1789, la France attisait la curiosité des voyageurs étrangers, avides de découvrir la diversité fromagère du pays et les rituels qui entouraient la table, du Paris mondain jusqu’aux villages les plus isolés. Leurs récits évoquent une mosaïque de productions régionales : la Normandie brille par ses fromages à pâte molle, la Savoie célèbre ses tommes, la Franche-Comté encense le comté, l’Auvergne impose ses bleus puissants.
Certains visiteurs, amusés ou étonnés, relatent la force de certaines spécialités. Le fromage fort, cousin du casu marzu, se distingue par son parfum intense, sa consistance presque fluide, sa saveur vive. À Bayonne comme à Toulouse, on affine des fromages audacieux, flirtant avec les limites de la fermentation, portés par une certaine intrépidité gustative. Loin d’être marginales, ces pratiques illustrent un rapport décomplexé au fromage, bien avant l’ère des contrôles sanitaires stricts.
Les Anglais, friands de descriptions, notent dans leurs carnets la liberté, parfois jugée anarchique, qui règne dans la fabrication et la dégustation. Ici, la France ne s’embarrasse pas de pruderie alimentaire : elle cultive la surprise, la prise de risque, la transgression joyeuse. La polémique autour du fromage corse avec asticots prend ainsi racine dans cette histoire, celle d’une nation qui fait primer la saveur sur la conformité, où le mythe et la réalité cohabitent à table, du refuge de berger aux festins citadins.
Mythes persistants et réalités méconnues autour du casgiu merzu
Le casgiu merzu, ou casu marzu, ne laisse personne indifférent. Ce fromage continue d’alimenter une polemique fromage corse qui ne désarme pas, entretenue par une fascination mêlée de gêne. Plusieurs croyances circulent : certains imaginent un produit réservé à quelques initiés, alors qu’il s’ancre depuis des générations dans les campagnes de Corse et de Sardaigne.
En réalité, ce fromage de brebis affiné avec les larves de Piophila casei n’est pas né d’une provocation mais d’un savoir transmis, peaufiné au fil du temps. La fermentation, accélérée par les larves, donne une texture crémeuse, un goût piquant, apprécié lors des fêtes familiales ou des grandes retrouvailles. Il se consomme, parfois à la main, avec du pain de campagne et un verre solide de vin corse Patrimonio, et souvent accompagné de noix ou de fruits secs.
Le débat sanitaire reste vif. Européens et Américains maintiennent l’interdiction, pointant du doigt des risques digestifs non négligeables. Mais sur le marché noir, le casgiu merzu s’arrache à des prix qui font tourner la tête. Malgré la stigmatisation, ce fromage corse avec asticots garde sa valeur de symbole : il incarne un attachement aux racines, un passage de témoin plus qu’une simple curiosité pour touristes avertis.
Au final, le casgiu merzu n’est ni un simple produit du passé, ni un artefact folklorique : il témoigne d’une relation singulière au goût, à la mémoire collective, à la résistance tranquille face à l’uniformisation alimentaire. Dans le silence d’une cave ou sur une table de fête, il rappelle que parfois, la tradition ne s’excuse pas d’être vivante, même lorsqu’elle dérange.